SAISON 2020-2021 SACRIFIÉE
Le 31 octobre 2020, les théâtres, comme bien d’autres lieux de vie et de culture, ont été contraints de fermer leurs portes. Obligés de sacrifier des mois de réflexion, de travail,
d’organisation, en vue de spectacles, de propositions pédagogiques, d’activités de toutes sortes. Forcés d’interdire l’accès de leurs espaces au public pendant plus de six mois. Cette situation
n’était, je crois,
jamais arrivée. Même au moment des périodes de guerre qu’a connu le XXe siècle.
Les musées ont fermé. Au bout de deux mois, par colère, par tristesse, par nécessité d’engagement, j’ai demandé à celui d’Angoulême une affiche de l’exposition qui était alors
en cours et qui n’avait eu le droit de vivre que quelques semaines.
Une affiche pour la transformer en un grand calendrier de l’Avent montrant explicitement tous les jours de fermeture, rendant caduque tout le travail effectué pour organiser cet événement. Pour
affirmer haut et fort à quel point l’art sous toutes ses formes me manquait, comme à une foule de gens – bien plus qu’on ne croit d’ailleurs. C’est Gilles Deleuze qui est l’auteur de cette phrase
si frappante que j’ai reprise comme « bannière » : « L’art, c’est ce qui résiste : il résiste à la mort,
à la servitude, à l’infamie, à la honte. » La culture est essentielle, et en cela elle coûte. Comme
je lisais sur une banderole : « La culture coûte cher ? Essayez donc l’ignorance ! »
Pendant cette période inédite, le théâtre d’Angoulême a continuer de fonctionner mais a dû renoncer à toute sa programmation et n’a plus reçu de public.
Son « occupation » par un mouvement de contestation des gens du spectacle m’a donné l’idée d’installer cette affiche transformée du musée, qui aurait pu rester lettre morte dans mon atelier, dans
le hall du théâtre, en attendant que le musée rouvre à son tour. Aujourd’hui, elle fait partie
du fonds du musée pour documenter l’histoire de celui-ci.
L’exposition qu’il m’a été proposé de faire au Théâtre d’Angoulême m’a fourni l’occasion de compléter ce projet d’une affiche jumelle, dédiée cette fois à la saison sacrifiée de ce lieu.
Car il est à mon sens indispensable de garder une trace d’un moment qui nous a tous profondément ébranlés, mais que la résilience nous pousse à mettre de côté, voire à effacer.
Sauf que… sauf que, sans archives, sans preuves, sans documents, les événements disparaissent, peuvent même ne jamais avoir eu lieu.
Cette affiche, comme son double, a pour but de participer un tant soit peu à la mémoire collective.
37 spectacles du programme de la saison 2020-2021 ont été annulés : théâtre, cirque, danse, musique, etc.
37 fois cette obligation de dire à une compagnie que ça ne pourra pas avoir lieu, qu’il ne sert à rien de préparer les bagages. Et qu’on ne sait même pas quand cela sera de nouveau possible. Ça
fait du monde…
J’ai demandé aux 37 compagnies concernées de me transmettre une photographie dans laquelle s’exprimerait l’entravement, à travers laquelle transparaîtrait la notion d’empêchement.
Certaines ont proposé une image faite tout exprès pour ce projet (ou presque) ; d’autres m’en ont envoyé une de leur spectacle qui s’ajustait naturellement à ma requête ; pour d’autres enfin,
nous avons choisi une photographie du spectacle que j’ai détournée à ma manière.
J’espère de tout cœur que cette affiche constituera un souvenir tangible de ces mois incompréhensibles. Elle aussi devrait devenir document sur l’histoire du lieu dont elle parle.